mardi 8 mai 2012

06. Plus difficile que la jungle amazonienne, plus fourbe que la forêt du Costa-Rica.

Période : Novembre-Décembre 2005
Situation sentimentale : 1 amoureuse et 1 fille à Paris, ça se précise.
Localisation géographique : Cambrousse morbihannaise (56).
Situation professionnelle : Tentative de récupération d’assedics et/ ou de RMI…

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Quand je suis arrivé en Bretagne, j’avais donc juste mon solde de tous comptes en poche (soit une enveloppe fermée qui diminuait rapidement et n’était jamais alimentée par rien). En bon aventurier mystérieux et buriné, j’ai pris mon destin en mains et me suis décidé à aller rendre une petite visite aux gentils gens de l’ANPE pour savoir un peu :

1/ Si je pouvais trouver un taf (ça pouvait servir pour la pérennité de mon aventure),
2/ Si je pouvais récupérer des assedics, malgré ma démission, et sous quelles conditions.
J’ai pas été déçu du voyage, autant vous dire.

Le gentil gens en question qui m’a reçu à l'ANPE était tout bien réfléchi pas si gentil. Après avoir rigolé pendant 30 minutes quand j'ai dit que je cherchais un taf dans le marketing agro-alimentaire, il m’a dit (je cite) « Le marketing, je sais même pas c’que c’est, moi, mouhahahahahahaha (rire sardonique avec un énorme soupçon de méchanceté) ». Et puis il a rajouté, des fois que j’ai encore une lueur d’espoir qui traîne : « De toutes façons dans l'coin, si on bosse pas dans l'agriculture, la restauration ou le BTP, on est foutu ». J'avais rapidement prévu un commando punitif pour plastiquer sa maison la semaine suivante à ce connard.

La situation me posait tout de même, vous vous en doutez, un sacré problème dans la mesure où j’étais taillé pour l’aventure, certes (= buter du zombie, dégommer de la momie, broyer de la goule, pulvériser de la vieille et du caniche) : toute une tradition séculaire que j’avais affinée avec beaucoup d’efficacité quand je portais des mocassins à glands et des bermudas Cyrillus et que j’habitais la dangereuse jungle urbaine de Neuilly-sur-Seine 92200 ouaich. Mais par contre j’étais pas du tout taillé pour construire des routes, devenir agriculteur ou faire de la cuisine (cf : mon précédent post). Aucune cellule de mon corps n’était programmée pour ça et mon cerveau était contre sur le principe, en plus.

A l’APEC de Rennes, censée représenter le salut ultime pour les cadres, les gens étaient assez spéciaux aussi… (mais ils utilisaient ‘benchmark’, ‘back-up’ et ‘concept’…alors ça m’a quand même bien fait rire, même si ça a servi à rien d’être aller les voir). Bref, je sentais bien que ma vie intellectuelle (j’ose à peine utiliser le mot) allait se flétrir comme une vieille merde si je n’avais pas de lien rapide avec la civilisation… J’étais donc sacrément démuni et pas très optimiste à ce stade. Finalement, retrouver le trésor perdu de l'atlantide c'était rien par rapport à trouver un taf.

L’affreux de l’ANPE m’avait quand même précisé entre deux ricanements sardoniques que je pouvais éventuellement récupérer des Assedics 122 jours après ma démission, si je montais un dossier qui prouvait par A+B+Z-Y (il avait l’air nul en maths en plus de tout, maintenant que j’y repense) que j’avais tout tenté (jusqu’à prostituer mes animaux de compagnie) pour trouver un travail. J’ai donc monté mon dossier avec ce que je pouvais (80 pages tout de même), l’ai envoyé et ensuite j’ai attendu des nouvelles (la commission de révision se réunissait normalement tous les 15 jours environ).

Cette commission-paritaire-indépendante-de-réévaluation-à-122-jours-après-démission (si, si, c’est son vrai nom) a manifestement oublié qu’elle devait se réunir tous les 15 jours pour statuer sur le sort de pauvres bougres (moi par exemple, qui étais pas le dernier pour être un bougre pauvre) qui attendaient désespérément de vivre au crochet de la société. En même temps, quand on passait devant l’ANPE, ça sentait quand même pas mal le chouchen à plein nez… Ca laissait comme un doute sur le sérieux de l’entreprise. J’avais quand même très hâte de vivre aux crochets de la société ! Mais bon, « pas de nouvelles, bonnes nouvelles », comme on dit… Autant dire que les nouvelles étaient très, très bonnes.

« Scoubidous» ou « prostitution » : si ça se trouve telles seraient bientôt les 2 belles alternatives qui s’offriraient à moi pour survivre ! Je vous aurais bien dit qu’entre les deux mon cœur balançait, mais ma préférence allait quand même vers les scoubidous (le bonhomme a sa fierté et ses principes… c’est pas pasqu’on est un aventurier buriné et mystérieux qu’on doit forcément s’abaisser aux pires outrages !).

La piste « scoubidous » a d’ailleurs pris toute son ampleur lorsque, la veille de Noël, j’ai reçu ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le courrier « fatal error occured » (tous les gens ayant un ordinateur et ayant croisé ce message sur un très joli fond bleu connaissent forcément sa signification : ça ne laisse jamais rien présager de bon). J’aurais effectivement mieux fait de me casser une jambe (voire les deux tant qu’à faire) plutôt que d’aller me traîner jusqu’à ma boîte aux lettres en rampant dans le froid.

Un courrier de l’ANPE m’attendait et je l’ai ouvert joyeusement sans me douter un seul instant que c’était encore un satané coup fourré du destin (et de l’ANPE). Ca disait ça, en gros : « Bonjour Monsieur, malgré votre gros dossier de 80 pages sacrément bien argumenté et justifiant parfaitement de vos actions pour retrouver un travail, nous sommes heureux de vous annoncer que nous avons décidé que ça ne suffisait pas du tout, que vous avez pas bien cherché un travail et que vous êtes une grosse merde. En conséquence de quoi, vous n’avez pas du tout le droit aux assedics (zéro, nada, néant, rien du tout, ni maintenant, ni jamais). Vous n’êtes qu’un jean-foutre. Si vous passez par la case départ, vous ne touchez pas 20 000 F). Bien cordialement, les assedics. NB : joyeux Noël ». Merci les gars.

Suite à cet échec lamentable à l’examen « gagner vos assedics », j’ai du coup demandé le RMI. Avec la chance que j’avais ça allait probablement rater, mais bon, qui ne tente rien n’a rien et j’étais quand même un aventurier des temps modernes bordel de merde.

Le remplissage du dossier RMI a été proprement épique, vu que j’ai dû faire quatre allers-retours entre la mairie et chez moi pour choper des nouveaux papiers à chaque fois. Il faut dire que la grosse connasse de la mairie avait pas oublié d’être une grosse connasse (la vie est bien faite) et qu’à chaque fois que j’arrivais avec le nouveau document qu’elle venait de me demander, elle me disait en ricanant : « vous allez rire, j’ai encore oublié de vous demander un papier ». Bien sûr, j’ai longuement rigolé avec elle à gorge déployée. Surtout sa blague finale : « j’ai l’impression d’oublier quelquechose, mais je vois pas bien quoi, alors j’envoie le dossier et on verra bien, hein, hi hi hi ». C’est ça, « hi, hi, hi » toi-même. Bah putain, avec des gens comme ça, on se sent vraiment entre de bonnes mains.

Pour finir, j’ai quand même eu le RMI. J’étais donc, sinon extatique, du moins assez content de me dire que j’allais pouvoir chauffer au moins une pièce dans ma maison (au zazard ma chambre, où je vivais 99% du temps). Joie de courte durée, quand j’ai appris le jour même aux infos que sur les 9 décédés de froid de cet hiver, 4 étaient des RMIstes. Quoique mystérieux et buriné, j’étais pas bien rassuré… C’est ce qui s’appelle une victoire en demi-teinte…

Du coup, je songeais sérieusement à chercher un taf aspirationnel du style « Mc Do » (no offense). Autant vous dire que je m’étais assis depuis longtemps sur mon amour propre professionnel - et ça faisait mal au fesses (c’est le cas d’le dire).

J’avais tellement hâte de vivre dans les vapeurs de frites grasses. Welcome in the real life.

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